Baptiste Lanaspeze, directeur des éditions Wildproject

Publié le 05 mai 2020

Le CNL vous propose régulièrement le portrait de professionnels dont il soutient les projets. Suite aux portraits filmés d'auteurs, c'est au tour de Baptiste Lanaspeze, directeur des éditions Wildproject, de répondre à nos questions.
Découvrez son métier, sa passion et son parcours, l'histoire et le catalogue de sa maison qui explore l'écologie à la croisée des sciences et de la littérature, car "loin d'être une niche, l'écologie traverse tous les champs de la culture."
Découvrez ici l'histoire singulière de cette maison d'édition créée en 2009, pionnière en France dans son domaine. Pénétrez "into the Wildproject".

Baptiste Lanaspeze, directeur des éditions Wildproject
Baptiste Lanaspeze, directeur des éditions Wildproject, crédits photo réservés

Baptiste Lanaspeze, quel éditeur êtes-vous ?

Je fais partie de la famille des « éditeurs-auteurs artisans indépendants » – sous le patronage de quelques figures mythiques comme Lawrence Ferlinghetti (City of Lights), François Maspero (Maspero) ou encore Eric Hazan (La Fabrique).

Après une formation initiale en philosophie et en littérature, je me suis consacré essentiellement aux humanités écologiques et, plus récemment, aux études décoloniales. Je suis devenu adulte en lisant Blaise Cendrars, Henry Miller, Denis Diderot… mais aujourd’hui, mes univers théoriques et poétiques sont plutôt du côté de Frantz Fanon, James Baldwin, Jean Giono…

Je suis lié à Marseille de façon assez profonde. Le monde s’organise pour moi à partir d’ici, de cette cité plus ancienne que la France, que les Algériens appellent « la 49e wilaya », où s’immiscent la mer et la colline. Si cette ville était rasée de la carte, j’aurais un sérieux problème existentiel… que je résoudrais probablement en m’installant à Tunis.

Mon travail d’éditeur a pris un sens nouveau depuis 18 mois et ma rencontre avec deux jeunes éditeurs de talent, Marin Schaffner (auteur du livre Un sol commun : lutter, habiter, penser pour les 10 ans de la maison) et Georgia Froman (anthropologue américaine). Nous sommes désormais 3 éditeurs à bord : après 10 années assez solitaires, cela donne une autre saveur à cette aventure, et une autre force aux éditions Wildproject. Je dois par ailleurs saluer la contribution importante de l’anthropologue Pascal Menoret : c’est de nos interminables conversations qu’est née la collection « Le Monde qui vient ».

Je suis aussi l’heureux papa d’un petit garçon de 4 ans, auprès de qui j’apprends énormément.

Pourquoi êtes-vous devenu éditeur ?

Je suis entré dans le monde de l’édition à la faveur d’un détour par New York – j’ai passé un an là-bas et, à la faveur d’un tuyau transmis par une amie, Violaine Huisman, qui n’était alors pas auteur, mais jeune chargée des droits chez Seven Stories, j’ai fait mon premier stage dans l’édition, au sein de l’agence littéraire Greenburger.

Je me suis dirigé au départ vers l’édition par curiosité et un peu par défaut, « en attendant d’être écrivain ». Mais dès le début, le métier m’a complètement passionné, au point de passer pour moi devant la pratique de l’écriture. Je me souviens de descendre la 4e avenue, un soir du mois de juin 2003, après ma première journée de stage à l’agence Greenburger, avec un irrépressible sourire aux lèvres – le genre de sourire qu’on a quand on tombe amoureux. C’était le sourire d’un jeune homme qui avait enfin trouvé sa voie.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?

Ce qui m’avait plu dès ce premier jour, et qui me plaît toujours aujourd’hui dans l’édition, c’est le mélange incongru entre des questions d’ordre poétique et d’ordre commercial. Ce mariage de la carpe et du lapin, de choses célestes et terrestres, ne cesse de me mobiliser – on n’en finit pas d’apprendre dans l’entre-deux (fait de plannings, de contrats, de maquettes, de devis d’impression, de relations aux auteurs, d’encres et de pâte à papier, d’actions commerciales, de relations presse…).

Le moins ?

Ce qui me plaît moins, c’est que ma production soit encore très liée à un système industriel aliénant, dans lequel ne sont gagnants ni les forêts, ni les auteurs, ni les contenus – ni les éditeurs dits « de création ». Nous sommes des artisans et nous jouons à armes inégales avec des éditeurs financiarisés. Avec d’autres règles du jeu, nous pourrions prospérer davantage. Cela passe sûrement par le fait d’œuvrer à rendre plus responsables des acteurs, tout au long de la chaîne – jusqu’aux lecteurs, qui sont parfois sourcilleux sur l’alimentation bio, mais pas encore sur les conditions de production des livres qu’ils achètent.

C’est pourquoi je suis ravi d’avoir été récemment embarqué comme cofondateur de l’Association pour l’écologie du livre (ecologiedulivre.org), avec qui nous venons juste de publier en mars ce manifeste : "Le livre est-il écologique ?"

Comment sont nées les éditions Wildproject ?

La maison est vraiment née d’un enthousiasme philosophique : le changement de paradigme que propose la pensée écologique, dont j’avais pris connaissance lors de mon séjour à New York en 2003. J’avais 25 ans, et j’ai été saisi par ce nouveau paysage cognitif, dont les conséquences métaphysiques, cognitives, politiques, esthétiques, me semblaient colossales. Une véritable révélation. Je me suis dit que j’en aurai pour au moins une décennie, et peut-être une vie à explorer cette galaxie intellectuelle.

Pourquoi avoir choisi ce prisme écologique qui fonde votre maison ?

Il faut se rappeler que dans les années 2000, ces idées étaient non seulement minoritaires, mais explicitement exclues des conversations académiques. L’écologie n’avait pas droit de cité en philosophie. On ne parlait ni de l’hypothèse Gaïa ni d’Arne Næss, qui semblaient des aberrations New Age. Printemps silencieux de Rachel Carson, pourtant établi comme l’ouvrage qui avait lancé le mouvement écologiste en 1962, n’était plus disponible en français depuis 1970 ; une situation qui à elle seule en disait long sur l’état des relations entre les mondes de l’écologie et les mondes intellectuels. Lancer Wildproject en 2009 avec Printemps silencieux, ce fut comme un manifeste, une façon de dire : « L’écologie est un enjeu intellectuel majeur ! »

Réhabiliter la question de la nature en philosophie : c’est afin de pouvoir suivre cette idée que je me suis mis en peine d’acquérir les compétences qui m’ont permis de devenir éditeur et gérant d’une maison d’édition. Je n’ai fait, au fond, que suivre cette idée, et mettre en œuvre ce qu’il fallait pour la développer en dehors des espaces académiques institués.

Quels sont les projets qui vous tiennent le plus à cœur ?

La maison est née avec la collection d’essais « Domaine sauvage », qui rassemblait des ouvrages fondateurs de la pensée écologiste. Assez vite, est apparue la collection de littérature « Tête nue », autour de l’écriture des lieux et de la dimension poétique de l’écologie.

Dans un souci de cohérence et d’ancrage dans mon propre lieu de vie, est née la collection « À partir de Marseille », sur des enjeux d’écologie urbaine allant du hip hop à la biodiversité en ville.

À la croisée des questions écologiques et décoloniales, nous avons créé avec Pascal Menoret la collection « Le Monde qui vient ».

Enfin, à l’occasion des 10 ans de la maison, et pour annoncer le programme pédagogique de la décennie qui vient, nous avons créé avec Marin Schaffner la collection de poche « Petite bibliothèque d’écologie populaire ».

Comment avez-vous connu le CNL ?

J’ai appris le métier aux côtés de Henry Dougier, le directeur des éditions Autrement, où j’ai découvert, de loin, la logique des demandes de soutien au CNL. Je voyais le « dépôt au CNL » comme un rituel saisonnier, dont les détails liturgiques et les secrets m’échappaient.

Comment choisissez-vous les projets soumis au CNL ?

Wildproject bénéficie du soutien du CNL depuis la 3e année de sa création. Je soumets en général au CNL les projets dont la vie commerciale me semble trop incertaine, qui demandent un complément financier (notamment dans le cas de traductions) et qui sont assez académiques pour être éligibles. Certains projets de création, trop originaux ou trop hybrides, ne passent parfois pas le cap – comme l’extraordinaire Voyages en sol incertain de Matthieu Duperrex, salués par Bruno Latour, Marielle Macé, etc.

Comment voyez-vous le soutien du CNL ?

La plupart du temps, je vois le CNL comme un partenaire précieux, qui rend possible de nombreux projets qui n’auraient pas pu voir le jour autrement. Mais les mauvais jours (par exemple, quand vous avez fait une moins bonne année, et quand vous obtenez une aide de 4 000 € pour une traduction qui en coûte 12 000 €), je ressens ce que doit ressentir un coureur cycliste dans l’ascension d’un col difficile, que l’on applaudit dans les virages et à qui l’on dit que c’est super, qu’il faut continuer…

 

Et si vous aviez 3 livres à nous conseiller parmi votre catalogue…

C’est une demande un peu cruelle, un peu comme de dire « Quels sont vos enfants préférés ? »…
 

Pour découvrir ou explorer les éditions Wildproject, plongez-vous dans les douze livres conseillés par Baptiste Lanaspeze. Ils sont disponibles en librairie près de chez vous !