Une panthère des neiges en Grèce
D'Athènes à Santorin, de Corinthe à Corfou, il n'y a bien qu'en librairie que vous pourrez apercevoir une panthère des neiges.
Prix Renaudot 2019, La Panthère des neiges de Sylvain Tesson (Gallimard), a été soutenu par le CNL pour ses traductions en plusieurs langues, dont le grec par Spyros Yannaras aux éditions Agra !
Par ce soutien, le CNL accompagne la traduction des littératures francophones dans le monde entier.
Rencontre avec Sylvain Tesson à la Maison de la poésie de Paris
Entretien avec Sylvain Tesson lors de la parution de La panthère des neiges (Gallimard, 2019)
Présentez-nous la panthère des neiges…
On la connaît peu et mal. Il n’en resterait que cinq mille spécimens dans des zones inaccessibles, du Pamir à l’Himalaya oriental et de l’Altaï au Népal. C’est un animal adapté à la très haute altitude : on a repéré ses traces à 6 000 mètres. Mais l’une des principales raisons pour laquelle elle est peu connue est qu’elle est très difficile à voir : elle possède des capacités de camouflage telles qu’on peut passer à dix mètres d’elle sans la voir. Comme elle est lourde, massive, et s’attaque à des proies très agiles, elle compense sa relative lenteur par ce camouflage qui lui procure l’effet de surprise et de fulgurance indispensable pour chasser.
Dans l’avant-propos, vous racontez l’observation avec le photographe animalier Vincent Munier d’une troupe de blaireaux, et vous notez que l’ancien nom du blaireau est précisément « tesson ». Une façon de dire que l’homme est un animal parmi les autres ?
Probablement. Parmi les deux raisons qui m’ont poussé à suivre Vincent Munier, il y a cette recherche de la part animale de soi, dont on s’est beaucoup éloigné. Cet éloignement constitue d’ailleurs notre propre vie, il s’appelle la culture, le langage.
Renouer avec cette part animale, tenter de comprendre à nouveau la nature dans laquelle on se place, était donc la première raison. La deuxième, c’est que Munier me proposait de me comporter dans la nature comme je ne l’avais jamais fait, en pratiquant l’art de l’affût : l’attente, la dissimulation, l’immobilité, le silence. Un art de l’intégration, de la dissolution, quasiment, dans le substrat. Moi qui suis dans l’agitation permanente, je n’avais jamais éprouvé ce genre d’usage du monde.
Mais comment pratiquer cet art de l’immobilité dans un froid intense ?
Ce qui m’a beaucoup intéressé, c’est la capacité d’abnégation absolue face aux souffrances qu’on endure à l’affût. Ce qui ramène à l’idée que l’objectif mental que l’on s’assigne — le nôtre était de voir apparaître l’animal —permet d’oublier tout le reste. Ce n’est pas que « l’intendance suivra », c’est que l’intendance ne mouftera pas ! L’intendance, ici, c’est le corps, qui va se plier absolument au désir. Vincent Munier sait que l’animal peut venir, que la récompense est possible. Et il tient le coup.
Lui a un but : l’image. Mais vous, vous êtes là pour quoi ?
Je suis là pour l’apparition, et je pense que j’ai éprouvé très rapidement, en attendant la panthère, un sentiment qui relevait du sacré. Ce n’est ni de la pensée magique, ni du chamanisme de bistro, c’est simplement que j’étais très peu habitué à vivre dans les tensions de l’attente et de la patience. J’ai découvert les vertus de la patience, j’ai réalisé qu’entre l’espérance que quelque chose arrive et le moment où cela arrive, il y a un intervalle qui se remplit de pensées insoupçonnées, qui ne viennent jamais lorsqu’on n’attend pas.
L’affût est antimoderne dans la mesure où il nous ramène à tout ce à quoi nos vies modernes, hyperactives, désordonnées, chaotiques, vouées à l’immédiateté, nous arrachent. Il nous oblige à considérer l’hypothèse qu’on peut consacrer beaucoup de temps à attendre quelque chose qui ne viendra peut-être jamais. À l’affût, nous sortons de l’immédiat pour revenir à la possibilité de l’échec même.
Sources : éditions Gallimard